Le parcours du combattant des malades de Ménière

Les médecins mettent en général assez longtemps avant d'établir un diagnostic formel autour de la maladie de Ménière. Pour le patient, il en résulte souvent une errance médicale qui peut durer plusieurs années, avec des conséquences psychologiques et sur le traitement médical.

Par Sylvain labaune, publié le 12 juillet 2024

Le parcours du combattant des malades de Ménière

Plusieurs témoignages recueillis au cours de l’élaboration de ce dossier nous l’ont confirmé : les personnes atteintes par la maladie de Ménière mettent souvent plusieurs années à obtenir un diagnostic fiable de l’affection qui les touche, et donc à être correctement prises en charge.

Plusieurs raisons peuvent expliquer cette difficulté. D’abord, pour établir le diagnostic de la maladie de Ménière, il faut l’association de quatre symptômes : vertiges, acouphènes, perte de l’audition et sensation d’oreille bouchée.

Or il arrive souvent que ces manifestations ne soient pas encore toutes présentes au moment de la première consultation. Il peut alors se passer un certain temps avant que la maladie de Ménière s’installe vraiment et soit formellement évoquée.

En outre, le critère essentiel pour établir le diagnostic de la maladie est la répétition des crises de vertiges. « Une crise unique ne peut pas définir une maladie de Ménière », souligne Pierre Lavagna, médecin ORL et directeur du centre Otoneuro à Monaco.

Ce diagnostic ne peut se faire que lorsque toutes les autres causes possibles de vertiges, d’acouphènes et de surdité unilatérale ont été éliminées par des examens complémentaires.

Au début de la maladie, les symptômes fluctuent et les périodes de crise surviennent généralement à une fréquence très variable. Ainsi, les crises peuvent être très espacées (moins d’une par an) et l’argument de la répétition ne peut pas être invoqué pour établir un diagnostic.

« Il y a souvent de l’errance au début de la maladie, car tous les symptômes ne sont pas encore présents », confirme Stéphane Gargula, médecin ORL et chirurgien cervicofacial à l’Assistance publique-hôpitaux de Marseille (AP-HM). Ce spécialiste nous explique par ailleurs que, face à des formes débutantes de la maladie, « on a parfois du mal à faire la part des choses avec les autres causes de vertiges, en particulier pour les patients avec des migraines dont les symptômes peuvent ressembler au début de Ménière. Le diagnostic est beaucoup plus facile à établir quand les patients ont des symptômes très bruyants, comme la perte d’audition, les crises de vertiges, etc. »

Il arrive aussi que le diagnostic soit très rapide. Cela a été le cas pour Daniel Petit, 68 ans, chef d’entreprise en préretraite, diagnostiqué tout de suite après sa première crise, durant l’été 2023.

« Je suis allé voir ma généraliste qui a remarqué une surdité à une oreille, puis on m’a conseillé un médecin ORL qui connaissait les symptômes. Le diagnostic a ensuite été confirmé par IRM », explique-t-il.

 

Des médecins pas assez formés

Une autre explication à l’errance médicale des patients est la difficulté d’accéder à un médecin formé sur la maladie de Ménière.

Une grande partie des personnes concernées évoquent un manque de connaissances, voire un désintérêt de la part des médecins généralistes et ORL.

« Il y a beaucoup d’errance médicale autour de Ménière, car un trop grand nombre de médecins généralistes et même d’ORL ne s’y intéressent pas et ne savent pas encore ce que c’est », déplore ainsi Jacques Foenkinos, président de l’association France Acouphènes1, lui-même atteint par la maladie depuis 26 ans.

« Les patients en errance sont dans une détresse terrible qui peut parfois conduire au suicide, témoigne le professeur Vincent Darrouzet, président de la Société Française d’ORL (SFORL). Il est très compliqué de trouver un médecin qui connait Ménière, et cela conduit à tellement d’erreurs de diagnostic… »

Pour le Pr Darrouzet, « les formations des médecins généralistes et des ORL ne sont pas assez poussées dans le domaine des maladies vertigineuses. Par exemple, un généraliste formé à la faculté de Bordeaux n’a aujourd’hui qu’une heure de cours sur le sujet des vertiges. Résultat, nous avons des généralistes totalement incompétents sur la question, mais ce n’est pas de leur faute. »

Le problème de la formation touche également des médecins ORL. En France, l’ORL est devenue une spécialité chirurgicale. « Lorsqu’un interne choisit la spécialité ORL, en général, c’est pour devenir chirurgien, ce qui n’était pas le cas avant », continue le Pr Darrouzet.

Le Dr Pierre Lavagna partage ce constat : « La plupart des ORL formés ces 30 dernières années l’ont essentiellement été en chirurgie. Au bout du compte, les ORL avec une formation médicale sont tous partis à la retraite et il ne reste plus aujourd’hui que ceux essentiellement orientés vers la chirurgie. »

« Or beaucoup de patients, comme les malades de Ménière, ont besoin d’un traitement médical plutôt que d’une opération chirurgicale », complète le Pr Darrouzet.

D’après les deux spécialistes, la prise en charge médicale des patients atteints de Ménière est difficile, longue et complexe. Cela peut ressembler à une enquête policière pour parvenir au diagnostic et au bon traitement, ce qui n’est pas toujours intéressant pour un ORL dont ce n’est pas le domaine de prédilection.

« Le problème d’accès au diagnostic est aujourd’hui énorme. Il est très difficile pour un patient atteint d’obtenir un rendez-vous dans un délai raisonnable, aussi bien à l’hôpital qu’en ville », regrette Pierre Lavagna.

« S’il faut, certes, répondre à l’errance médicale par l’éducation des médecins ORL et des généralistes, il faut bien prendre en compte que le diagnostic de Ménière est très compliqué à réaliser, surtout en cabinet », nuance toutefois Stéphane Gargula.

 

1 L’association France Acouphènes vient en aide aux personnes atteintes de Ménière en souffrance : groupe de parole (contact.meniere@france-acouphenes.org) et ligne téléphonique (01 42 05 01 46) de 9 heures à 19 heures, du lundi au vendredi.

 

Élodie Deroy, une patiente « Ménière » en errance

Élodie Deroy a 33 ans. On lui a diagnostiqué la maladie de Ménière fin 2023, après plusieurs crises de vertiges intenses qui lui ont fait perdre une partie de l’audition du côté gauche.

Si le diagnostic est tout récent, les premiers problèmes sont apparus il y a environ sept ans.

« J’ai commencé à avoir des vertiges en 2017, mais les médecins m’ont d’abord parlé de cristaux dans les oreilles. Je me suis fait soigner pour cela et le traitement a plutôt bien fonctionné, ce qui a confirmé l’hypothèse des cristaux », explique-t-elle.

Pourtant, tout change en octobre 2023. « J’ai eu une crise de vertiges comme jamais auparavant. Je ne pouvais plus bouger de mon canapé ; ma tête tournait, peu importe que je sois allongée ou debout. Je ne pouvais même plus m’occuper de mon bébé », raconte la jeune femme, encore éprouvée par l’épreuve.

Élodie Deroy a fait une nouvelle crise en mars 2024, puis une autre fin juin. « Je suis toujours en pleine crise au moment où je vous parle. Cela dure depuis 10 jours malgré un passage aux urgences et la consultation de plusieurs médecins. Je ne sais vraiment plus quoi faire. Je ne sais plus comment aller travailler, comment m’occuper de mon enfant et de ma maison… Ma vie est à l’arrêt », confie-t-elle avec émotion.

Son parcours médical a été pour le moins compliqué. Au total, la jeune femme a consulté quatre médecins ORL.

Le praticien qui la suivait depuis plusieurs années ne pensait pas qu’il s’agissait d’une maladie de Ménière, car il estimait qu’il fallait attendre de faire plus de trois crises en an pour déclarer cette maladie.

Les autres ORL consultés par la suite lui ont diagnostiqué cette affection, avec toutefois quelques réserves : « ma nouvelle ORL me dit que c’est étrange comme forme de la maladie, car normalement les crises durent au maximum de 24 à 48 heures ; or, chez moi, elles durent plusieurs jours. »

« Je pense que les médecins n’ont pas assez de recul sur cette maladie. J’ai l’impression d’être un rat de laboratoire et que les médecins testent ce qu’ils peuvent tester sur moi », estime Élodie.

La jeune maman évoque également des incompréhensions de son entourage. « Comme c’est une maladie chronique qui n’est pas très connue, les gens pensent presque que ce n’est pas grave, y compris les proches. »