Les apporteurs d'affaires : Fausse bonne idée pour développer sa patientèle ?
Avec la nouvelle concurrence entre centres audios, la tentation est grande de faire appel à un apporteur d'affaires pour orienter les patients vers votre centre. D'après Maitre Morey, ce système serait malgré tout à la limite de la légalité et présente un risque de se retourner contre l'audioprothésiste.

Maitre Morgane Morey, avocate au Barreau de Paris, a donné un cadre concernant le recours aux apporteurs d'affaires par les audioprothésistes.
Nathalie Bloch-SitbonDifficile d’échapper aux publicités sur les réseaux sociaux proposant une solution à d’éventuels problèmes d’audition ou aux appels téléphoniques pour prendre un rendez-vous chez un audioprothésiste. Les entreprises à l’origine de cette activité sont des apporteurs d’affaires. Ils mettent en relation l’audioprothésiste avec de nouveaux malentendants potentiels contre rémunération, pour les aider à élargir leur patientèle. C’est une option tentante, car la prospection de nouveaux clients est une tâche chronophage ; cela pourrait se révéler moins couteux que de mener des campagnes marketing traditionnelles, d’autant que tous les audioprothésistes n’ont pas la fibre commerciale. Pour autant, où se situe la limite entre un apporteur d’affaires, à priori légal, et le démarchage, qui ne l’est pas ? L’audioprothésiste peut-il être tenu pour responsable de certaines dérives déontologiques ?
Démarchage ou mise en relation ?
Sous couvert de dépistage de la surdité ou de bilan auditif, les appels, SMS, courriels ou publicités sur les réseaux sociaux se multiplient. Selon le Syndicat des audioprothésistes (SDA), au-delà de l’aspect légal, ces sollicitations souvent intrusives sapent l’image positive qu’a le grand public des audios, alors que la profession a tant œuvré pour cette bonne réputation.
Maitre Morgane Morey, avocate au Barreau de Paris et associée auprès du cabinet Squair, s’est penchée sur ce problème épineux, pour le SDA. « L’apporteur d’affaires est une personne qui agit comme intermédiaire entre deux parties pour leur mise en relation, sans les représenter directement l’une et l’autre. Contrairement à un agent commercial qui est un mandataire, l’apporteur d’affaires ne négocie pas et ne signe pas de contrat au nom et pour le compte de l’audioprothésiste, qu’il ne représente pas. Il n’agit pas non plus comme un courtier ou comme commissionnaire », souligne-t-elle. En général, l’apporteur d’affaires constitue un fichier patient, puis entre en contact avec un audioprothésiste pour lui vendre ce contact, avec la mise en place d’une contrepartie. Il n’y a pas forcément de contrat signé.
L’avocate précise que les ventes par démarchage sont prohibées et sanctionnées par le Code de la santé publique. Pourtant, aucun article ne les définit, ce qui laisse un flou. De plus, si la prise de contact devait être qualifiée de « démarchage », donc illégale, il ne serait pas évident de déterminer qui devrait être sanctionné, entre l’apporteur d’affaires et l’audioprothésiste.
Une limite fine
La légalité de l’action s’estime notamment sur la façon dont l’approche du patient est faite : « L’information des patients sur divers éléments est obligatoire : essai gratuit de 30 jours minimum, modalité d’octroi d’un délai d’essai plus long, etc., explique Morgane Morey. En revanche, si le message est structuré de manière à sous-entendre que l’audioprothésiste ou le centre est le seul à proposer cette gratuité, cela peut s’apparenter à une pratique commerciale trompeuse ; idem si l’apporteur d’affaires emploie des termes propres à l’exercice des professions de santé, tels que « bilan auditif », alors qu’il n’en fait pas partie, ou reste flou sur les professionnels qui réaliseraient les actes. Les messages peuvent également caractériser une pratique commerciale agressive, passibles d’une sanction pénale, s’il s’agit de sollicitations répétées et insistantes. »
Le droit restant sujet à interprétation, l’avocate souligne que la notion de pratique commerciale trompeuse est très large et subjective. De plus, en cas de plainte contre l’audioprothésiste, celui-ci devra démontrer que le service lui a été présenté comme licite et qu’il n’était pas au courant d’une pratique liée au démarchage.
Seul un concurrent peut porter plainte
Une action en concurrence déloyale pourrait ainsi être intentée par un audioprothésiste qui se considèrerait comme victime des pratiques d’un audioprothésiste concurrent faisant appel à un apporteur d’affaires. En effet, l’audioprothésiste utilisateur du fichier de prospects tire avantage de ne pas s’astreindre à la règlementation. « Les juridictions sont de plus en plus réceptives à ce type d’actions », précise l’avocate.
Si l’apporteur d’affaires réalise directement un bilan auditif ou un dépistage auditif aboutissant à un diagnostic, il effectue un acte réservé aux médecins et entre dans le cadre de l’exercice illégal de la médecine ; de même, s’il opère un choix dans l’appareillage d’un patient, il exerce une prérogative relevant de l’exercice de la profession d’audioprothésiste. « Il faut noter que l’audioprothésiste qui apporterait son concours à l’apporteur d’affaires, par exemple en lui permettant l’utilisation de son nom dans les démarches auprès des prospects, pourrait être complice de l’infraction », complète Morgane Morey.
Il est également important de préciser que des questions peuvent se poser sur le respect du RGPD et que tout acte de cession, à titre onéreux, de données de santé identifiables directement ou indirectement, y compris avec l’accord de la personne concernée, est prohibé par le Code de la santé publique et passible de sanctions pénales.
Il est donc à priori légal de faire appel à un apporteur d’affaires pour un audioprothésiste, à condition de respecter les règles déontologiques et les règlementations en vigueur et de garantir la transparence et la liberté de choix des patients.
D’après l’avocate missionnée par le SDA, de nombreuses pratiques actuelles des apporteurs d’affaires semblent néanmoins à la limite de la légalité. La plus grande prudence est de mise, même si, pour l’instant, aucune procédure n’est connue dans le domaine.