Elle entend pas la moto : La vie sans limites de Manon Altazin, sourde profonde
À 35 ans, Manon Altazin est kinésithérapeute, sportive accomplie, mère de deux jeunes enfants et... pilote d'avion. Sourde profonde de naissance, elle a surmonté les épreuves depuis l'enfance pour tracer sa propre voie. Le film biographique réalisé par Dominique Fischbach, Elle entend pas la moto, en salle le 10 décembre 2025, raconte son histoire1. Il met notamment en lumière, à travers elle, la solitude des enfants sourds confrontés à la violence des institutions.
Images tirées du film biographique Elle entend pas la moto.
Manon est née sourde profonde dans une fratrie de trois enfants : une sœur entendante, Barbara, et un frère cadet, Maxime, sourd profond lui aussi. Implantée une première fois du côté droit à l’âge de huit ans, l’opération a été suivie de nombreuses complications.
Une vie de surdité
Manon a dû être réimplantée à deux autres reprises, à douze et quinze ans. « J’ai subi deux pannes internes, d’où les deux réimplantations, explique-t-elle. L’implantation a été décidée par mes parents, avec moi, car le gain avec des prothèses auditives était minime, dans mon cas. »
La situation s’est depuis stabilisée. Aujourd’hui, sans son implant, elle n’entend rien. « Il me permet de capter des sons, mais pas de les distinguer. Je ne peux donc pas comprendre sans ajouter la lecture labiale », explique-t-elle.
Enfant, Manon a enchainé les hospitalisations, les rendez-vous médicaux et, surtout, un grand nombre de séances d’orthophonie, qui lui permettent aujourd’hui de s’exprimer avec clarté. Dans le film, on la découvre enfant, fatiguée, inquiète, avec une partie du crâne rasée. À l’adolescence, cette fatigue accumulée semble parfois se transformer en un sentiment d’injustice, comme dans cette scène où, lors d’une dispute avec sa sœur, elle lui lance : « Tu veux prendre ma place peut-être ? »

Manon avec son frère Maxime, tous les deux implantés cochléaires
©Dominique Fischbach
Première femme pilote sourde
En dehors de ces moments de difficultés, Manon est une enfant vive, curieuse, avec une bonne dose d’humour, qui nage, grimpe et court. Le sport est devenu très tôt une sorte de refuge pour elle, ou du moins une manière de s’exprimer, par le corps. Elle pratique aujourd’hui la voltige, le marathon, la randonnée, le vélo ou encore le canitrail.
Manon a longtemps pratiqué la gymnastique à haut niveau, jusqu’à l’âge de 14 ans, avant de devoir arrêter à cause de chocs répétés sur son implant. En quête d’un nouvel espace d’évasion, elle découvre l’aviation à 15 ans, lors d’un baptême de l’air. Elle obtient son brevet de pilote quatorze ans plus tard, en 2019, grâce à une dérogation. La jeune femme est autorisée à piloter seule, mais uniquement dans des espaces aériens non contrôlés, où la communication radio (avec les contrôleurs) n’est pas indispensable.
Elle est devenue la première femme sourde pilote d’avion en France, titre qu’elle est encore la seule à détenir, et compte désormais plus de 200 heures de vol à son actif.

Manon Altazin est devenue la première femme sourde pilote d’avion.
©Dominique Fischbach
Une jeunesse marquée par les rejets
La scolarité de Manon a été difficile. Elle garde en particulier le souvenir « traumatisant » d’un évènement vécu pendant la période du collège. « Un jour, ma meilleure amie de l’époque, entendante, m’invite chez elle. Ses parents sont dans l’appartement. Je suis très contente d’être invitée, c’était si rare ! Moi, on ne m’invitait jamais… Je m’en souviens encore : je rentre et ses parents me dévisagent. Ils voient que je suis sourde et me chassent. Je me suis retrouvée seule dans la rue. J’avais 12 ans ! » se remémore-t-elle avec émotion dans le film.
Plus tard, lors de ses études de kinésithérapie, elle a failli craquer à de nombreuses reprises. Durant cette période, elle n’arrive pas à suivre, à prendre des notes en cours. Seule élève sourde, Manon est obligée de tout rattraper le soir pendant que ses camarades sortent faire la fête. « Les autres étudiants n’étaient vraiment pas sympas avec moi, raconte-t-elle. J’essayais de leur expliquer que, quand le professeur parlait, j’avais besoin de lire sur les lèvres pour comprendre et que, quand il était de dos, je ne savais pas quoi faire. C’était si épuisant… J’ai finalement réussi, mais à quel prix ? »

Toute sa vie, la jeune femme a trouvé un exutoire dans le sport.
©Dominique Fischbach
La blessure d’un frère brutalement disparu
Le drame le plus marquant de sa vie reste la disparition en 2016 de son frère Maxime, de cinq ans son cadet, avec qui elle était très liée. « En tant que sourds, nous partagions la même identité, notamment le fait de devoir se battre au quotidien », souligne-t-elle.
Longtemps, Manon a ressenti de la colère. Son frère, peut-être davantage qu’elle, a fait face à la brutalité des institutions, et ce très tôt dans sa jeunesse. « Il n’a pas eu les mêmes chances que moi, car, cinq ans plus tard, les moyens dans les classes avaient diminué. »
Elle mentionne cette scène où, enfant, il a été placé dans une classe d’entendants, sans aucun accompagnement. « C’était d’une violence inouïe ! C’était inimaginable. Moi, je n’ai jamais vécu un tel abandon par l’Éducation nationale. »
Aujourd’hui mère, Manon semble trouver un nouvel équilibre auprès de ses deux enfants : Mathéo (né en 2022) et Alya (née en 2025). Son fils ainé, entendant, apparait, tout petit garçon, dans le film ; comme une présence essentielle, une extension d’elle-même. Dans une scène, alors qu’ils dinent ensemble au chalet familial, Mathéo se lève brusquement : une voiture approche en contrebas et il avertit sa mère, restée les yeux dans son assiette. Comme il le dit avec ses mots : « Maman, elle entend pas la moto. »
1. Elle entend pas la moto, un film réalisé par Dominique Fischbach, en salle à partir du 10 décembre 2025.